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L’obligation de réclamer une pension : entre droits économiques et mise en danger des femmes et de leurs enfants

Dernière mise à jour : il y a 1 jour

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Lorsqu’une femme quitte une relation marquée par la violence conjugale et le contrôle coercitif, ce n’est pas une séparation comme les autres. C’est une fuite pour sa survie. Elle part en urgence, souvent avec ses enfants, quelques vêtements et ses papiers les plus essentiels. Elle laisse derrière elle sa maison, son intimité, son confort et très souvent plusieurs années de contrôle économique par son conjoint.


De la violence à la précarité

 

Après des années de contrôle économique, de nombreuses femmes se retrouvent sans aucune ressource. Elles n’ont « pas un sou », et doivent se tourner vers le programme d’aide financière de dernier recours, anciennement dénommé le programme d’aide sociale. Cette mesure existe pour assurer leurs besoins de base et ceux de leurs enfants.

Dans bien des cas, les allocations familiales étaient versées sur le compte du conjoint. La femme doit alors entamer des démarches administratives pour régulariser sa situation auprès de Retraite Québec et de l’Agence du revenu du Canada.

Pour celles dont le statut d’immigration n’est pas encore stabilisé, notamment les demandeuses d’asile, la situation est encore plus précaire. Même lorsque leurs enfants sont nés au Canada, elles ne reçoivent aucune allocation pour enfants ni du Québec ni du Canada, ce qui les prive elle et leurs enfants d’un filet de sécurité essentiel. Pour nous, cette règle est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant et à ses droits économiques sociaux et culturels, qui sont au sein même de la Convention Internationale des droits de l’enfant de 1989 applicable au Canada. 

 

Programme d’aide financière de dernier recours: une condition dangereuse

 

Lorsqu’ une personne reçoit `l’aide sociale’, elle doit faire toutes les démarches possibles pour obtenir l’argent ou les avantages auxquels elle a droit par d’autres moyens (par exemple :  assurance emploi, indemnités, etc.).

Autrement dit, l’aide sociale n’intervient qu’en dernier recours : l’État aide seulement quand la personne ne peut pas subvenir à ses besoins autrement. C’est pourquoi, une mère seule victime de violence, qui pourrait recevoir une pension alimentaire doit en faire la demande avant ou pendant qu’elle reçoit l’aide sociale, car cette pension pourrait réduire ou remplacer une partie de l’aide financière versée par le gouvernement.

 

Quand la demande de garde entraîne celle de la pension alimentaire


De la même manière, les avocats qui accompagnent les femmes victimes de violence dans une demande de garde incluent systématiquement une demande de pension alimentaire au nom de l’article 585 du Code civil du Québec : Les père et mère, en tant que tels, doivent des aliments à leur enfant. Cette obligation de remplir le formulaire dans toute demande de garde ou de pension impliquant des enfants date de 1997. Une mère victime de violence qui dépose une demande de garde doit donc automatiquement inclure la question de la pension alimentaire L’objectif était que le juge règle en une seule décision : la garde, les droits d’accès, la contribution financière de chaque parent. De plus, depuis le fameux arrêt de la Cour  Éric c. Lola en 2013 souvent appelé « l’arrêt du fondateur du Cirque du Soleil », il s’applique uniformément à tous les enfants, sans distinction fondée sur le mariage.

 

Des démarches à haut risque

 

Au Parados, nous observons plusieurs scénarios :

 

  1. Par peur des représailles, certaines femmes renoncent à demander l’aide sociale ou la garde légale, afin d’éviter une escalade de la violence.

    Cette peur, bien réelle, les pousse à sacrifier leur stabilité financière, juridique et parentale afin de préserver leur sécurité.

  2. D’autres, contraintes par la nécessité, engagent les démarches, la peur au ventre, terrifiées à l’idée que la colère du conjoint explose à nouveau et que la justice soit instrumentalisée par la vengeance et le contrôle de leur agresseur.


    Elles le font parce qu’elles n’ont pas d’autres options : incapables de travailler en raison des conséquences psychologiques ou physiques de la violence, elles doivent assurer la survie de leur famille.

 

En tant que maison d’hébergement, nous sommes témoins, trop souvent, que ces démarches déclenchent une escalade ou une vengeance et des tentatives de reprendre le contrôle à travers la démarche judiciaire. Certains pères vont jusqu’à réclamer à la cour une garde complète, en accusant la femme de toute la situation, à la suite de cette demande de pension alimentaire, alors qu’ils n’ont fait aucune démarche depuis des mois pour voir leur enfant. D’autres évoquent la garde partagée afin de réduire le plus possible le montant de la pension alimentaire malheureusement trop souvent sans réelle volonté d’assumer leurs responsabilités parentales.

Sur le long terme, nous voyons que certains agresseurs quittent leur emploi, reprennent les études ou travaillent illégalement pour éviter d’avoir à payer cette pension.  Dans les cas les plus graves que nous avons vu, certaines femmes ont reçu des menaces de mort de leur ex-partenaire pour leur avoir mentionné la possibilité d’exercer leur droit de demander une pension.


Une mesure inefficace… et dangereuse ?

 

L’obligation de demander une pension alimentaire pourrait sembler logique sur le plan juridique et dans l’intérêt de l’enfant pour qu’ils vivent dans les meilleures conditions économiques possibles. Toutefois cette obligation est contre-productive dans un contexte de violence conjugale car elle fait échos aux stratégies de contrôle économique post-séparation de l’homme violent.  Au nom des droits économiques de l’enfant, que sacrifions-nous ? Sa sécurité ? Sa stabilité émotionnelle ? Son développement psychosocial ? Parfois sa vie et celle de sa mère. Rappelons que la rupture ne met pas la fin de la violence. Bien au contraire, c’est souvent le moment où elle atteint son paroxysme. Au Canada, 4 femmes sur 10 tuées par un conjoint ou ex-conjoint avaient déjà pris la décision de partir.

 

L’obligation ne profite donc pas forcément aux femmes et aux enfants, mais profite-t-elle réellement à l’État?

En effet, la prestation ‘d’aide sociale’ n’est réduite que si la pension alimentaire dépasse environ 500 $ par enfant. Ce seuil est très rarement atteint dans les familles. Il faut souvent un revenu très élevé (environ 100 000 $ pour Mr versus 20 000 pour Mme) pour que la pension atteigne 500 $ par enfant. Or, un peu moins de 12 % des contribuables québécois gagnent plus de 100 000 $ par an. Combien de femmes victimes de violence cela concernerait-il vraiment ?

Ces démarches mettent-elles les femmes et les enfants victimes de violence en danger pour un gain financier qui est négligeable pour le gouvernement ? Il semble que oui.

 

Exempter pour protéger ? Comment éviter les freins majeurs au départ et à la reconstruction de la famille ?

 

Pouvons-nous en tant que société faciliter la tâche à ses femmes qui veulent se reconstruire? Les politiques publiques devraient pouvoir reconnaître et adapter leurs exigences en conséquence.

Il est urgent que les femmes victimes de violence conjugale, qu’elles soient en procédure de garde légale à la cour ou qu’elle fasse une demande d’aide de dernier recours, soient exemptées de l’obligation de réclamer une pension alimentaire si celle-ci aurait pour effet d’augmenter la violence, l’emprise, le contrôle coercitif.Les forcer à entamer une démarche qui réactive le lien avec l’agresseur met toute la famille à risque.

D’autres pays européens n’associe pas les deux demandes (demande de garde et pension alimentaire ou revenu de dernier recours et pension alimentaire). Les femmes peuvent donc, avec leur avocat et leur jugement professionnel, évaluer le coût réel de cette demande : si la demande de pension alimentaire ravive la violence, la peur ou le contrôle, elles ont le droit d’y renoncer sans être pénalisée sur d’autres droits ou procédures.

 

Il est certain que dans une société qui protègerait réellement les victimes contre la violence et le contrôle coercitif; les cycles de violence, les explosions de violence et les stratégies de l’agresseur seraient dépistés et reconnus; ce qui permettrait aux femmes et aux enfants de ne pas avoir à renoncer à leurs droits économiques afin de se protéger. Nous avons une responsabilité en tant que société de bâtir un système administratif et judicaire qui reconnait et protège réellement les femmes et leurs enfants et leur permet de sortir définitivement de la de violence avec notre appui.

 

 

 
 
 

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