L’inégalité salariale au Québec : entre progrès et persistance
- Le Parados

- 15 oct.
- 5 min de lecture
« Encore aujourd’hui, il existe un écart salarial réel » : une campagne de sensibilisation porteuse de sens
La CNESST a récemment lancé une campagne publicitaire pour rappeler que l’écart salarial entre les femmes et les hommes n’est pas un simple vestige du passé, mais une réalité persistante : en 2024, le salaire moyen des femmes était 9 % inférieur à celui des hommes. L’écart est encore plus marqué chez certaines catégories de personnes — les femmes immigrantes et les salariées non syndiquées gagnaient jusqu’à 14 % de moins de l’heure que leurs homologues masculins (CNESST, 2024).
Cette campagne rappelle l’importance de l’équité salariale et le rôle que doivent jouer les employeurs, les gouvernements et la société civile pour créer des milieux de travail plus justes. Elle incite aussi à examiner de façon rigoureuse les données et les mécanismes qui perpétuent les inégalités, particulièrement au Québec.
Portrait de l’inégalité salariale au Québec et au Canada
Progrès globaux mais écarts persistants
Selon Statistique Canada, l’écart salarial entre les femmes et les hommes a diminué au fil des années, mais il reste significatif. De 2007 à 2022, l’écart entre les hommes nés au Canada et les femmes nées au Canada est passé de 15,0 % à 9,2 %. Pour les immigrantes admises à l’âge adulte, l’écart a diminué de 27,4 % à 20,9 % sur la même période (Statistique Canada, 2023).Toutefois, à l’échelle canadienne, le salaire horaire médian des femmes en 2022 était de 25,00 $, comparé à 29,87 $ pour les hommes — un écart de 16,3 % (Statistique Canada, 2023). Ces chiffres nationaux révèlent des tendances générales, mais doivent être nuancés selon les contextes provinciaux et sectoriels.
L’approche intersectionnelle : des écarts plus sévères selon le statut
L’étude « Perspective intersectionnelle sur l’écart salarial entre les genres » de Statistique Canada montre que les inégalités salariales ne se répartissent pas uniformément.
En 2022, l’écart salarial des femmes autochtones par rapport aux hommes nés au Canada était de 20,1 %.
Pour les immigrantes admises à l’âge adulte, l’écart était de 20,9 %.
Les femmes nées au Canada affichaient un écart de 9,2 % par rapport aux hommes nés au Canada (Statistique Canada, 2023).Ces résultats confirment que les discriminations croisées, genre, origine, statut migratoire, autochtonie, amplifient les écarts, ce qui appelle des politiques d’équité différenciées et ciblées.
Situation spécifique au Québec
Le Québec se distingue par une réduction plus rapide de ses écarts de genre en emploi, grâce notamment à sa Loi sur l’équité salariale (LES), adoptée en 1996. Celle-ci oblige les employeurs à corriger les écarts entre emplois féminins et masculins de valeur équivalente. Cependant, la persistance d’un écart salarial de 9 % en 2024 montre que l’application de la loi reste incomplète (CNESST, 2024).Par ailleurs, les données indiquent que les écarts se sont particulièrement réduits dans les postes de gestion : de 19,3 % à 8,7 % chez les cadres intermédiaires, et de 20,0 % à 9,0 % chez les cadres supérieurs entre 2001 et 2021 (Statistique Canada, 2024).
Facteurs structurels et obstacles à la correction
Segmentation professionnelle et reconnaissance des métiers
Une grande partie de l’écart salarial découle de la répartition genrée des professions : les emplois à prédominance féminine demeurent moins valorisés et moins bien rémunérés, même lorsqu’ils requièrent des compétences équivalentes. La LES vise à corriger ces biais, mais elle ne couvre pas tous les secteurs ni tous les employeurs, et ses suivis quinquennaux sont parfois inégalement réalisés (CNESST, 2023).
Conditions d’accès à l’emploi, temps partiel et interruptions de carrière
Les responsabilités familiales continuent de peser majoritairement sur les femmes, entraînant des parcours professionnels plus discontinus, un recours accru au temps partiel et une moindre progression salariale. Le Québec a certes atténué ces effets grâce à son système de garde subventionné, mais l’impact sur l’égalité salariale demeure partiel.
Syndicalisation, transparence et pouvoir de négociation
Les femmes non syndiquées demeurent particulièrement vulnérables aux écarts de rémunération, avec des différences pouvant atteindre 14 % par rapport aux hommes (CNESST, 2024). La transparence salariale apparaît ainsi comme un levier essentiel pour repérer et corriger les inégalités.
Des inégalités salariales enracinées dans les structures sociales
Au-delà des facteurs économiques ou organisationnels, les inégalités salariales trouvent leurs racines dans des mécanismes sociétaux profondément ancrés. Comme le rappelle la littérature sur les rapports sociaux de sexe, la division sexuée du travail, historiquement construite, continue d’influencer la répartition des rôles et des valeurs associées aux emplois occupés par les femmes et les hommes. Les métiers traditionnellement féminins (soins, enseignement, accompagnement,...) sont souvent perçus comme des prolongements du rôle domestique et relationnel des femmes, et donc moins valorisés économiquement (Kergoat, 2012 ; Bourdieu, 1998).
Cette hiérarchisation symbolique et économique se double d’un modèle social du travail fondé sur la disponibilité totale, historiquement conçu pour des trajectoires masculines, linéaires et continues. En ce sens, les intermittences de carrière liées à la maternité ou aux responsabilités familiales sont encore perçues comme des freins à la performance, à la progression et à la légitimité professionnelle des femmes (Maruani, 2017). Ces normes sociales se traduisent par une double injonction : « réussir comme un homme tout en assumant comme une femme », accentuant la charge mentale et les arbitrages contraints entre vie professionnelle et personnelle.Enfin, ces inégalités sont renforcées par les stéréotypes de compétence et de leadership, qui favorisent les hommes dans les sphères décisionnelles et de pouvoir. L’écart salarial n’est donc pas seulement une question économique : il traduit un système social de reconnaissance différenciée, où les contributions féminines demeurent sous-évaluées malgré les progrès législatifs.
Limites de l’application de la loi
Même lorsque des obligations légales existent, leur mise en œuvre demeure inégale. Le manque de ressources, la complexité des évaluations d’emplois et la résistance de certains milieux freinent l’efficacité de la Loi sur l’équité salariale (CNESST, 2023).
Les orientations du Québec 2022–2027 pour progresser
La Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2022–2027 du Québec met de l’avant plusieurs priorités :
Renforcer l’analyse différenciée selon les sexes (ADS) pour évaluer l’impact des politiques publiques ;
Cibler les femmes les plus touchées par les discriminations croisées (immigrantes, autochtones, en situation de handicap) ;
Assurer une meilleure coordination entre ministères et organismes pour maximiser l’impact des actions (Gouvernement du Québec, 2022).
Conclusion
L’écart salarial entre les femmes et les hommes demeure un révélateur puissant des inégalités de genre structurelles au Québec. Malgré les avancées législatives, la réalité de 2024 — un écart encore de 9 % — rappelle que l’égalité de droit n’est pas encore une égalité de fait.Pour y parvenir, il faut agir sur tous les leviers : économiques, sociaux et culturels. L’équité salariale ne se limite pas à corriger des chiffres ; elle exige une transformation profonde des représentations du travail, du pouvoir et de la valeur. C’est à ce prix que le Québec pourra véritablement devenir un modèle d’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Bibliographie
Bourdieu, P. (1998). La domination masculine. Paris : Seuil.
CNESST. (2024, mars). L’écart salarial réel entre les hommes et les femmes. Repéré à https://www.cnesst.gouv.qc.ca/fr/salle-presse/communiques/ecart-salarial-reel-entre-hommes-femmes
Gouvernement du Québec. (2022). Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2022–2027. Secrétariat à la condition féminine. Repéré à https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/org/SCF/publications/plans-strategiques/Strategie-egalite-2022-2027.pdf
Kergoat, D. (2012). Se battre, disent-elles…. Paris : La Dispute.
Maruani, M. (2017). Travail et genre dans le monde : l’état des savoirs. Paris : La Découverte.
Statistique Canada. (2023). Perspective intersectionnelle sur l’écart salarial entre les genres, 2007 à 2022 (No 45-20-0002). Repéré à https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/45-20-0002/452000022023002-fra.htm
Statistique Canada. (2024). Les écarts salariaux entre les sexes selon le niveau de gestion, 2001 à 2021 (No 36-28-0001). Repéré à https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/36-28-0001/2024010/article/00005-fra.htm



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